mardi 19 mai 2015

Le terril (27)


J'y ai mâché une poignée de terre.
C'était le pire endroit pourtant pour un tel repas. Point de loess ou d'argile goutu, mais des métaux lourds, mais des éclats de verre, et les écoulements de pluies acides.
Pourquoi avoir fait ça ? Bon Dieu, et bien parce que j'en avais assez. J'étais chez moi et des esprits flapis s'amusaient à me réveiller de leurs coups sur les murs. Un roi s'asseyait sur ma tête et le nez d'une marionnette sans cesse s'enfonçait dans mon dos. Des particules tourbillonnaient dans l'air et m'empêchaient de voir net. Ne faire ni une ni deux, c'est beau de l'écrire, mais ça l'est encore plus de l'éprouver en hurlant : j'ai claqué la porte et suis parti à grandes enjambées.
On en revient au repas. Il faut m'imaginer au sommet du terril, le front haut, la veste claquant au vent, vu de dos comme si un peintre allemand s'apprêtait à me croquer. La main pleine de terre et baffrer d'un geste brusque. Si vous tendez l'oreille, vous entendrez mes dents crisser. 
Ça aurait pu être la grande vie, la tournée des grands ducs, le baroud d'honneur, le début d'une légende.
Mais avec les gencives qui saignent, c'était juste un corps qui réclamait son dû.
En avant.

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