vendredi 21 mars 2014

Le terril (13)


Là où je vis, les hommes pensent que le monde a la forme d'un terril. 
Au commencement, dit-on, il n'y avait qu'un grand feu, sans âge et sans limites. Et cette fournaise, dit-on, un jour, se fragmenta. Et le temps, et les étoiles, et la matière naquirent. L'ordre et le désordre pourraient désormais s'affronter. Une immense boule de flammes, dit-on, avait erré durant plusieurs éternités avant de trouver un ciel qui deviendrait notre ciel. La boule de feu, dit-on, changea autant de fois de forme qu'il y aurait un jour des formes différentes dans le monde. Elle prit son temps et cela dura encore beaucoup d'éternités, Dieu est la nature et la nature est infinie. Enfin, dit-on, le feu parut s'éteindre et le monde prit l'aspect d'un tas de lave durcie. Il n'y avait pas encore de mers, et de montagnes, et de bois, et d'oiseaux, et de vers de terre, et de lichens... Des géants porteurs de hottes, dit-on, un jour se levèrent et commencèrent à gravir les pentes de ce monde naissant. Chacun de leurs pas, dit-on, formait des continents, des falaises, des grottes et toute la dentelle de la terre. Leur sueur et leurs larmes coulaient au sol par torrents, et la vie vint ainsi de l'effort et de la joie. Quand ils parvenaient au sommet, dit-on, ils se retournaient et observaient le ciel avec amertume. Déjà, ils connaissaient leur fin. Ils s'engouffraient alors, dit-on, dans d'immenses galeries où ils allaient remplir leurs hottes. Qu'y avait-il au fond de ces tunnels ? Nul ne le saura jamais. Le mystère, dit-on, nous protège du chaos et du mal. Ils sortaient et déversaient tout leur fourbi sur les pentes du monde. Et c'étaient des animaux qui commençaient à courir, à voler, grogner, frétiller et bourdonner. Quand les hommes furent ainsi jetés sur la terre, dit-on, les géants se regardèrent et explosèrent. C'était au tour de l'homme, dit-on, de se hisser vers les cimes et de creuser pour atteindre le feu. Nous en sommes toujours là.
Le monde est un terril. 
En avant.

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