jeudi 12 avril 2012

Fouilles et souvenir

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Il est écrit que Walter Benjamin (photographié en 1928 ci-dessus) est destiné à devenir un compagnon de route plus fréquent. Ainsi du magnifique recueil Images de pensée (réédité récemment dans la collection Titres chez Christian Bourgois) rassemblant des descriptions de villes (Weimar, Moscou, Marseille...), des rêves ou de courts essais comme Le caractère destructif ou encore Le lièvre de Pâques découvert. On copie ci-dessous le très beau texte Fouilles et souvenir pour les camarades archéologues et pour les autres. A noter que ce petit essai est cité par Didi-Huberman dans le récent Ecorces et qu'Images de pensée a initialement été édité par Jean-Christophe Bailly, ce qui semblerait indiquer une certaine cohérence à nos lectures du moment...

"La langue a signifié sans malentendu possible que la mémoire n'est pas un instrument pour l'exploration du passé. C'est le médium du vécu comme le royaume de la terre est le médium où sont ensevelies les anciennes villes. Qui tente de s'approcher de son propre passé enseveli doit faire comme un homme qui fouille. Il ne doit surtout pas craindre de revenir sans cesse à un seul et même état de choses - à le disperser comme on disperse de la terre, à le retourner comme on retourne le royaume de la terre car les "états de choses" ne sont rien de plus que des couches qui ne livrent qu'après une exploration méticuleuse ce qui justifie ces fouilles. C'est-à-dire les images, qui, arrachées à tout contexte antérieur, sont pour notre regard ultérieur des joyaux en habits sobres - comme des torsi dans la galerie du collectionneur. Et il est à coup sûr utile, lors de fouilles, de procéder selon des plans. Mais tout aussi indispensable est le coup de bêche précautionneux et tâtonnant dans l'obscur royaume de la terre. Et il se frustre du meilleur, celui qui fait seulement l'inventaire des objets mis au jour et n'est pas capable de montrer dans le sol actuel l'endroit où l'ancien était conservé. Ainsi les véritables souvenirs doivent-ils moins procéder du rapport que désigner exactement l'endroit où le chercheur a mis la main sur eux. Au sens le plus strict, le véritable souvenir doit donc, sur un mode épique et rhapsodique, donner en même temps une image de celui qui se souvient, de même qu'un bon rapport archéologique ne doit pas seulement indiquer les couches d'où proviennent les découvertes mais aussi et surtout celles qu'il a fallu traverser auparavant."
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1 commentaire:

jr a dit…

merci ! exposer les bribes de passé à la lumière, et à la question lancinante de l'éternité -