mardi 4 octobre 2011

Du cannibalisme humanisant

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Cette toile (Copenhague, Nationalmuseet) d'Albert Eckhout montre une femme cannibale Tapuya peinte au Brésil en 1641. Le peintre hollandais est à l'époque chargé par le comte Maurice de Nassau d'enregistrer les différents types humains et les richesses naturelles de la colonie. Le portrait est composé de manière classique, avec le modèle en pied au premier plan d'un vaste paysage. Aucun artifice ne semble accuser la bestialité de la cannibale. Tout semble presque normal, hormis l'avant-bras porté par la femme et la jambe dans son panier. Le peintre fait-il preuve d'ironie, se conforme-t-il à une vision du bon sauvage ou a-t-il une intuition de la nature humanisante du cannibalisme ? Bien plus tard (mais c'est déjà ce que pensait Voltaire, à quelques différences près), Claude Levi-Strauss écrira dans son article Siamo tutti cannibali (Nous sommes tous des cannibales), publié dans La Repubblica le 10 octobre 1993 (extraits) :
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"Les auteurs qui nient l'existence présente et passée du cannibalisme prétendent que sa notion fut inventée pour creuser encore davantage le fossé entre les sauvages et les civilisés. Nous attribuerions faussement aux premiers des coutumes et des croyances révoltantes afin de nous donner bonne conscience et de nous confirmer dans la croyance en notre supériorité.
Inversons cette tendance et cherchons à percevoir dans toute leur extension les faits de cannibalisme. Sous des modalités et à des fins extraordinairement diverses selon les temps et les lieux, il s’agit toujours d'introduire volontairement, dans le corps d'êtres humains, des parties ou des substances provenant du corps d'autres humains. Ainsi exorcisée, la notion de cannibalisme apparaîtra désormais assez banale. Jean-Jacques Rousseau voyait l'origine de la vie sociale dans le sentiment qui nous pousse à nous identifier à autrui. Après tout, le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger."
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