jeudi 29 septembre 2011

La fabrique des images

.
Après une écoute très stimulante du grand anthropologue français Philippe Descola, ce matin à l'ULg, on plonge dans un de ses classiques publiés dans la collection Terre Humaine : Les lances du crépuscule. Relations jivaros. Haute-Amazonie (1993). Dans cet ouvrage, le scientifique faisait état de son suivi des Jivaros Achar en Amazonie. Pour la peine, en voici un extrait ci-dessous (p. 381 de l'édition de poche) avec en prime une illustration de Philippe Munch d'un chamane soignant un malade issue du livre. Ce matin, Descola exposait quelques concepts clés de ses recherches récentes qui concernent "La fabrique des images" (d'après l'intitulé d'une expo qu'il a dirigée au Musée du quai Branly en 2010-2011) : naturalisme, animisme, analogisme et totémisme. Pour en savoir plus, voir ici plusieurs cours donnés au Collège de France à voir et écouter.
.
"Bien souvent, les maux qui affligent le client d'un chamane sont imaginaires ou de type psychosomatique. J'ai vu plusieurs fois des gens quasiment à l'article de la mort, ayant abdiqué toute volonté de vivre tant ils étaient persuadés que rien ne saurait les délivrer de leur ensorcellement, et dont j'aurais pourtant parié qu'ils étaient en parfaite santé, vu l'absence apparente de tout symptôme préoccupant. Entraînés par l'un de leurs proches chez un uwishin renommé dont ils gagnaient la demeure avec une peine infinie, ils s'en revenaient quelques jours plus tard d'un pas vif et la mine florissante, délivrés d'un tourment qui n'avait sans doute jamais eu de base organique. Parce qu'ils apaisent l'angoisse de ceux qui les consultent, parce qu'ils les délivrent de l'aliénation terrible du face-à-face avec la douleur et l'inconnu, les chamanes arrivent même à provoquer un mieux-être temporaire chez des gens réellement malades, toute détérioration postérieure de leur état apparaissant moins comme le signe d'un échec que comme l'indice d'un nouvel ensorcellement sans rapport avec le premier. Contrairement à ce que pensent avec une certaine naïveté les missionnaires catholiques qui imputent le présent mercantilisme des chamanes jivaros à une navrante dégradation des valeurs antiques, il semble bien que le réconfort apporté par la cure soit proportionnel à son prix. Chacun sait ici que la guérison est d'autant plus rapide qu'elle a coûté plus cher, les chamanes ayant compris ce que les psychanalystes ont découvert tardivement, à savoir qu'il faut littéralement "payer de sa personne" pour faire d'une situation de dépendance la condition de son propre salut."
.

Aucun commentaire: